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Livre V. Chapitre 3. NOUS ET LE REIGNE ANIMAL


          Souvent, nous ne nous rendons pas compte à quel point notre attitude utilitaire envers tout ce qui existe est devenu notre deuxième nature. Tout est évalué uniquement en fonction de son utilité pour l’homme. Mais comme ce provincialisme historico-culturel, appelé « nationalisme », nous paraît sauvage aujourd'hui, alors le provincialisme de l'humanité à l'echèle cosmique paraîtra tout aussi ridicule à nos descendants. La légende que l’homme est la « couronne de l'univers » – cet héritage de l'étroitesse médiévale et de l'égoïsme barbare – devra, ensemble avec la domination de la doctrine matérialiste qui la patronne, se dissiper telle une fumée.
          Une nouvelle vision est à la porte : où l'homme est un être dans une chaîne grandiose d'autres êtres, il est plus avancé qu’un grand nombre d’entre eux, mais en même temps plus minable que beaucoup d’autres. Et chacun de ces êtres a une valeur à lui, peu importe son utilité dans la vie de l'homme.
          Mais comment déterminer cette valeur dans chaque cas particulier ? Quel est le critère pour cela ? Comment établir cette hiérarchie de valeurs ?

          Tout d'abord, on peut affirmer que la valeur, matérielle ou spirituelle, de tout objet, matériel ou spirituel, augmente avec la quantité d'efforts déployés pour en faire ce qu'il est. Bien entendu, lorsqu'on applique ce principe à l'évaluation des êtres vivants, on s'aperçoit aisément qu'il nous est impossible de calculer la somme de ces efforts. Mais ce qui est possible, en revanche, c’est de se rendre compte que plus le niveau atteint par un être sur l'échelle cosmique est élevé, plus la somme des efforts déployés pour lui (individuels, naturels ou Providentiels) doit être accrue. Les capacités intellectuelles et toutes autres facultés de l'homme qui le distinguent de l'animal ont exigé une quantité incroyable du travail, y compris ses propres efforts et ceux de la Providence, sans parler du travail effectué précédemment pour élever des animaux des formes les plus simples vers les plus élevées. Voilà sur quoi repose la hiérarchie cosmique des valeurs, pour autant que nous puissions la comprendre. Il en résulte que la valeur d'un infusoire cilié est inférieure à celle d'un insecte, la valeur d'un insecte est inférieure à celle d'un mammifère, la valeur de ce dernier est encore loin de la valeur d'un humain, la valeur d'un humain n’est pas aussi importante que celle d'un archange ou d’un démiurge du peuple, et la valeur de ces derniers, malgré toute leur ampleur, se perd à côté de la valeur des Seigneurs de la Lumière, des démiurges de la Galaxie.
          Si nous prenons ce principe à part, nous pourrons conclure que l’homme est en fait irresponsable par rapport à tous ceux qui sont en dessous de lui : puisque sa valeur est plus élevée, cela signifierait que la nature elle-même lui dit d'utiliser leurs vies de la manière qui lui est utile. Mais aucun principe éthique ne doit être considéré à part : il n’est pas autosuffisant, il fait parti du système général des principes qui déterminent aujourd’hui l'existence de Chadanakar. Le contrepoids au principe de la valeur spirituelle peut être considéré le principe du devoir moral. Dans les stades inférieurs à l'homme, et même dans les premiers stades de l'humanité, ce principe n'était pas encore réalisé ; mais maintenant, il peut être formulé avec une précision assez importante. Voici cette formule : à partir du niveau de l'homme, la dette de l'être vivant vis-à-vis de ses inférieurs augmente à mesure qu'il monte d'autres niveaux. 

          Déjà, l’homme préhistorique portait une dette envers les animaux apprivoisés. Et ce n’était pas juste de les nourrir et les protéger, ce qui n’était qu’un simple échange, un devoir au sens basique, matériel, et non au sens éthique, car pour le nourrir et le loger, l’homme prenait à un animal domestique soit son travail, soit le lait et la laine, soit même sa vie (dans ce dernier cas, forcément, il a déjà violé la proportion naturelle de l'échange). Quant au devoir éthique de l'homme préhistorique, il consistait à aimer l'animal qu'il apprivoisait et utilisait. Un ancien cavalier qui avait un profond sentiment pour son cheval, un berger qui montrait non seulement de l'attention mais aussi de la gentillesse envers son bétail, un paysan et un chasseur qui aimait sa vache ou son chien – eux tous remplissaient leur devoir éthique.  
          Ce devoir essentiel restait une norme universelle jusqu’à nos jours. Quoique, certaines âmes élevées – celles que nous appelons les saints, et les Hindous leur donnent un mot plus précis – mahatma, qui veut dire « élevé d’esprit » – elles comprenaient un nouveau niveau de devoir beaucoup plus élevé, qui découlait naturellement depuis leur grandeur spirituelle. La vie des saints est pleine d'histoires sur l'amitié des moines et des ermites avec des ours, des loups et des lions. Dans certains cas, il peut s'agir de légendes, mais dans d'autres, des faits de ce type sont enregistrés historiquement avec précision, par exemple dans des témoignages sur la vie de St. François d'Assise ou de St. Séraphin de Sarov. 
          Bien sûr, un tel niveau de devoir envers les animaux est déjà un aspect de sainteté ; elle ne peut pas ê
tre héritée par la majorité de l'humanité, on est les mêmes qu’il y a trois mille ans. Quoique, trois mille ans, c'est long. Et rien ne justifie l’idée d’être condamné à rester au même niveau de devoir primitif que nos lointains ancêtres. Si l’humain du monde animiste, exigu et trouble pouvait déjà aimer son cheval ou son chien, pour nous c’est loin d’être suffisant. Le chemin colossal que nous avons parcouru depuis, ne nous oblige-t-il pas à faire plus ? Ne sommes-nous pas capables d'aimer aussi les animaux sauvages dont nous ne tirons pas de bénéfice direct, du moins ceux qui ne nous nuisent pas ?
          Tout être existant possède ce que nous appelons dans ce contexte « un chèlte » ou, si vous préférez, une âme, c'est-à-dire le corps le plus subtil créé par sa propre monade immortelle. Même les ciliés ont un chèlte : aucune existence matérielle n'est possible sans lui, tout comme aucune existence n'est possible sans une monade. Sauf que les monades des animaux se trouvent dans un des mondes du Haut Devoir – à Kaérmis, tandis que leurs âmes effectuent de longs voyages le long d'une spirale ascendante à travers une sakouale particulière, composée de plusieurs couches. Ils s'incarnent ici, dans Enrof, mais la plupart d'entre eux n'ont pas un au-delà descendant. Ils sont soumis à la loi du karma également, mais d’aune autre façon : le dénouement des nœuds ne se fait que dans Enrof, sur les chemins d'innombrables incarnations au sein de son espèce, avec une extrême lenteur.
          Selon le dessein originel des forces Providentielles, Enrof était destiné uniquement au règne animal, c'est-à-dire à la multitude de monades qui descendraient ici avec leurs chèltes afin de commencer une grande action créatrice : l'illumination de la matérialité de la couche tridimensionnelle. L'intervention de Gagtoungre défigura ce plan, compliqua les chemins, mutila les destins et étira les délais de développement d'une manière terrifiante.
          Pourquoi les bébés de presque tous les animaux sont-ils si adorables, si mignons ? Pourquoi même les porcelets et les bébés hyènes, sans parler des louveteaux ou des lionceaux, n'évoquent en nous qu'un sentiment doux et touchant ? Car la manifestation du principe démoniaque chez un animal ne commence qu'à partir du moment où il est obligé d’entrer en lutte pour la vie, autrement dit, lorsqu’il tombe sous la loi de la dévoration des uns par les autres. Les bébés animaux d'Enrof ressemblent à ces représentations d'animaux qu'ils possédaient autrefois dans le monde voisin d'où ils descendaient pour la première fois dans Enrof. Même les serpents de cette couche étaient de belles créatures – gaies et très fringantes. Ils dansaient en louant Dieu. Et ils auraient dû devenir encore plus magnifiques, plus intelligents et plus sages dans Enrof, s’il n’y avait pas Gagtoungre.  
          Son activité traça une ligne rouge tranchant le règne animal en deux. Il réussit à en diaboliser une partie très gravement, plafonnant le développement spirituel de ces animaux extrêmement bas : désormais ils ne pouvaient exister qu'aux dépens de leurs congénères. En règle générale, le principe prédateur est de nature démoniaque, et quelle que soit la créature qui le porte, cela signifie que les forces démoniaques y ont déjà travaillé à fond. L'autre moitié du règne animal était destinée à être sacrifiée à la première. Le principe prédateur n'y était pas placé, et ces espèces se limitèrent à la nourriture végétale. Mais vivoter dans des conditions de fuite quasi-permanente ou constamment se cacher à l'abri des dangers ralentit terriblement leur développement mental. 

          L'objectif d'illuminer la matérialité tridimensionnelle demeurait toujours devant les forces Providentielles. Puisque le règne animal s'en avéra incapable – du moins pendant une période prévisible –, elles créèrent les conditions préalables pour qu'une seule espèce s’en démarque, afin d’être plus rapide et plus efficace face à cette tâche. L'extraction de cette espèce avait le caractère d'un bond impétueux en avant. En même temps, l'espèce mère, dont la nouvelle variété se sépara, lui avait servi de tremplin pour sauter. Et plus le bond en avant de l'espèce humaine était prompt, plus l'espèce parentale, lui servant de tremplin, recula. Plus tard, cette espèce évolua en une classe de singes – un exemple tragique de régression. Ainsi, le prix de notre saut de la bête à l'homme fut un arrêt du développement d'innombrables autres êtres vivants.
          Plus les animaux sont féroces, plus ils sont diabolisés. Bien entendu, cette diabolisation se limite à leurs chèltes et à leurs corps matériels plus denses : elle ne peut en aucun cas affecter la monade. Mais la diabolisation du chèlte peut atteindre des degrés terrifiants et entraîner des conséquences désastreuses. Il suffit de rappeler ce qui arriva à de nombreuses espèces de la classe des reptiles. L'ère mésozoïque fut marquée par le fait que cette classe, qui avait atteint les formes gigantesques à cette époque, se fit coupée en deux : une moitié, herbivore, eut l’occasion d’évoluer dans d'autres couches. Dans un certain monde matériel appelé Jiméira, vivent des brontosaures et iguanodons, ayant traversé d'innombrables incarnations : ce sont des créatures tout à fait raisonnables, gentilles et exceptionnellement affectueuses. Quant à l'autre moitié des lézards géants et des prédateurs, eux, ils évoluèrent dans d'autres couches en sens inverse. Ils n'ont plus de corps physique, mais un karrokh, et ce sont eux qui font rage dans les chrastres en tant que rarouggs.
          La Jiméira, l'habitat actuel de la meilleure partie des animaux des anciennes ères géologiques, est déjà en train de disparaître : ses habitants se déplacent vers les couches supérieures. Deux autres couches regorgent de myriades de créatures : Isong, le monde des âmes de la plupart des animaux existants aujourd'hui, à travers lequel elles passent en éclair entre les incarnations, et Ermastig, le monde des âmes des animaux supérieurs : seuls représentants de quelques espèces parviennent à s'y élever après la mort, et encore, il faut bien le mériter. Ils y restent beaucoup plus longtemps qu'à l’Isong.
          Je me souviens des paroles du starets Zosime, remarquables par leur profondeur : « Regardez le cheval ou le bœuf abattu et pensif. Regardez leurs visages : quelle douceur, quelle affection pour l’homme qui les bat souvent sans pitié, quelle bonté, quelle confiance et quelle beauté on voit dans leur visage ! » Oser dire "visage" à propos de la tête d'un cheval ou d'une vache – il fallait avoir le don d'une véritable lucidité pour cela. 
          La surface des choses familières pour nous devint transparente devant le regard prophétique – pas celui de Zosime, mais de Dostoïevski, et à travers sa réalité, il a vu un devoir. Le devoir des animaux. Car il existe déjà un monde où les âmes formées de beaucoup d'entre eux, portants les corps éclairés, sont belles et non seulement hautement intelligentes, mais plutôt spirituellement sages. Ce monde, Hangvilla, est le plus élevé de la sakouale. Ils vont éventuellement l’atteindre tous pour pouvoir monter plus haut, vers le Fayer, l’Usnorme et le Kaérmis.
          Oh, les ignobles traces de la patte de Gagtoungre sont visibles sur bien d'autres choses dans le règne animal ! Il réussit, par exemple, en faisant pression sur certains chèltes, à commettre une telle violence, qui trouvera à peine un homologue dans notre monde. Il les aplatit ou écrasa à tel point, qu’ils passèrent d'individuels à collectifs. Les chèltes individuels de nombreux êtres inférieurs sont les manifestations momentanées d'un tel chèlte collectif. Tels sont, par exemple, la plupart des insectes, sans parler des protozoaires. Le chèlte individuel d'une mouche ou d'une abeille n'est, pour ainsi dire, qu'un minuscule renflement à la surface de la sphère de l'âme collective. Une abeille ou une mouche est morte ici, dans Enrof – et ce renflement est à nouveau aspiré dans la sphère générale, fondu dans le chèlte d'une multitude de mouches. Le monde des âmes collectives des insectes et des protozoaires s'appelle Nigoïda : ici, ces âmes collectives, notamment celles des abeilles et des fourmis, sont dotées de l’intelligence. En apparence, elles ressemblent à des créatures qu’elles incarnaient dans Enrof, mais plus grandes de taille et plus éclairées. Certaines d'entre elles – quoique pas très nombreuses pour l’instant – s'élèvent plus haut, jusqu’à la Hangvilla, et y deviennent magnifiques et sages. Ils commencent même à avoir les traits de la royauté et de la splendeur. La Hangvilla est une sorte de grand zatomis commun de tout le règne animal. De là, les âmes animales illuminées s'élèvent à travers le Fayer directement jusqu'à l’Usnorme, où elles prennent part à l’office divin perpétuel de Chadanakar.
          D’autant plus étrange vous semblera le fait qui concerne non pas les vrais animaux, mais certains jouets d’enfants. Je parle des oursons et des lapins en peluches, ainsi que d’autres doudous tant aimés par les enfants. Etant petit, chacun de nous les aimait, et on éprouvait de la douleur et de la tristesse en apprenant que ce n'étaient pas des êtres vivants, mais simplement des créations humaines. Ceci dit, la bonne nouvelle est que ce n'est pas nous qui avons raison, mais nos enfants qui croient fermement que leurs jouets sont vivants et qu'ils peuvent parler. Ici, nous pourrions observer un processus de création très particulier. Au début, un tel jouet n'a ni corps éthérique, ni astral, ni chèlte, sans parler d’une monade. Mais plus l’enfant aime son nounours, plus de la tendresse, de la chaleur, de l'affection, de la compassion et de la confiance est déversé sur ce jouet de l'âme de l'enfant, plus dense devient cette matière subtile à partir de laquelle il se crée un chèlte. Avec le temps, le chèlte effectivement apparaît, mais il n'a toujours ni corps astral ni corps éthérique, et c’est pourquoi son corps physique – le jouet même – ne peut pas devenir vivant. Mais lorsque le doudou, entièrement saturé de l’énergie immortelle de chèlte, meurt dans Enrof, un acte divin s’accompli : le chèlte est associé à une jeune monade qui entre dans Chadanakar du sein du Père. À l’Ermastig, parmi les âmes des animaux supérieurs qui ont les corps astral et éthérique, surgit une créature étonnante, pour laquelle on devra y créer les mêmes corps. Ce n’est pas la beauté, et encore moins la grandeur de ces créatures qui affecte nos âmes sévères, mais cet inexprimable côté touchant qu’évoque chez nous l’air d'un lapin ou d'une bichette. A l’Ermastig, ces êtres sont même plus mignons, car dans les jouets qui leur correspondaient, il n'y avait même pas une goutte de mal. Ils y vivent miraculeusement avec les âmes de vrais ours et de cerfs, jusqu’à ce qu’ils obtiennent leur corps astral, ensuite, ils montent dans la Hangvilla comme tout le monde.
 
          

 



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